Burkinabè rapatriés de Côte-d’Ivoire: leur intégration à Batié
01/02/2015
13:50

Des Burkinabè rapatriés de Côte-d’Ivoire ont pu sauver leurs vies pendant les crises grâce à leur talent d’athlète. De nombreux rescapés aux différentes tueries découlant des évènements de Tabou, de la crise post-électorale et de la rébellion, ont trouvé refuge à Batié, au Sud-ouest du pays. Aujourd’hui, ils s’efforcent d’oublier ce passé sombre de l’histoire et sont en train de goutter la sève d’une nouvelle vie paisible et pleine d’espoir.
Batié, une ville enclavée coupée en deux depuis l’entrée principale jusqu’à la sortie par une route déglinguée en terre battue, des habitations en vermeil, bariolées çà et là par un nuage de poussière rouge dégagé à longueur de journée par des tacots et des motocyclistes indociles! Batié, c’est aussi cette ville paisible qui ploie dans une obscurité totale la nuit. Des lampadaires épars du Fond de développement de l’électrification (FED), clairsemés ici et là, s’efforcent vainement de répandre leur lumière dans les recoins sombres de la cité. C’est dans cette ville de moins de 50 mille habitants, frontalière avec la Côte-d’Ivoire et le Ghana, qu’une partie des Burkinabè rapatriés de Côte-d’Ivoire ont déposé leurs valises en 1999, lors de la guerre de Tabou. Les autres crises sociopolitiques qui s’en ont suivi ont également leur lot de déplacés à Batié. 15 ans après leur installation dans cette ville, la population de Batié a connu un boom. Et cette croissance exponentielle de la population n’est pas sans inquiéter l’ex-député maire de Batié, Ferdinand Ollo Somé. « Depuis leur arrivée, la ville s’est agrandie très rapidement à cause de la démographie galopante caractérisée par un fort taux de croissance qui se situe à 4,2% contre 3,1% au plan national », souligne-t-il. L’aménagement du site d’accueil des expatriés constitue actuellement le premier des soucis du conseil municipal. De ce fait, la mairie envisageait déjà un lotissement qui devrait déboucher sur la dissolution des quartiers non lotis où s’entassent les nombreux expatriés. Mais hélas, déplore M. Somé, l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre derniers a remis tout à plat par le fait de la dissolution des conseils municipaux. « Le projet de lotissement était déjà bien lancé, mais les choses sont venues de façon subite », reconnaît-il. Aujourd’hui, les expatriés ont créé leur quartier qu’ils ont aussitôt baptisé « Bayir Noma », ce qui veut dire « il fait bon vivre chez soi ». Le fondateur dudit quartier s’appelle Piga Moussa Kaboré, petit frère de feu Philippe Zinda Kaboré. « Je vais mourir ici », clame-t-il, arguant que l’idée d’aller habiter quelque part n’a jamais effleuré son esprit.
Des expatriés retrouvent le sourire
Inconsolables à leur arrivée à Bâtié, les Burkinabè rapatriés de Côte-d’Ivoire ont trainé la savate avant de retrouver, peu à peu, le sourire. N’ayant rien pu emporter dans la débandade, ils vivaient en partie des aides de l’Etat et de la générosité des populations locales. L’élu local et ex-député de l’Union pour le progrès et le changement (UPC), Ferdinand Ollo Somé, reconnait cette traversée du désert des expatriés. « Ils sont rentrés en catastrophe et beaucoup étaient en larmes à leur arrivée à Batié », témoigne-t-il. De nos jours, la situation est tout autre. Nombre d’entre eux se sont reconvertis au commerce et évoluent pour la plupart dans le secteur informel. « Je me suis rendu compte que ce sont des acteurs du secteur informel assez important, parce qu’ils ont contribué à gonfler l’assiette fiscal de la commune », soutient l’élu local. Et puis, ajoute-t-il, « Ils ont été d’un apport considérable au développement de la ville de Batié ». En tout cas, les expatriés sont à l’aise actuellement dans leur ville d’accueil et la vie reprend ainsi de plus belle. « Ici, la vie est plus belle qu’en Côte d’Ivoire », s’exclame les habitants du quartier. El Hadj Boureima Derra, un habitant de« Bayir Noma », déborde de joie. Pour lui, il n’y a pas meilleur endroit que d’être chez soi et c’est en cela qu’il trouve que Batié est bon. La préoccupation de celui-ci porte essentiellement sur la difficulté d’accès à l’eau et le non aménagement du site.« Bayir Noma est une réalité pour nous car ici tu peux parler comme tu veux et faire ce que tu veux sans crainte ni peur », affirme El Hadj Moussa Kaboré. L’air d’avoir rendu de bons et loyaux services à ses frères en détresse anime les sentiments de l’ex maire, Ferdinand Somé qui leur a attribué des parcelles en zone lotie quelques temps après leur installation: « Ça nous a réjoui d’être au service de nos compatriotes qui sont en difficultés ; le nom Bayir Noma qu’ils se sont donné les a réjouis en ce sens que lorsqu’ils sont rentrés, ils ont vu que chez eux ce n’est pas aussi mauvais que certains le pensent ». Il prend ainsi de court ceux qui croient qu’on ne peut pas réussir au Burkina Faso. M. Somé estime que ceux qui mûrissent de telles idées se trompent énormément. « Il y’en a qui disent que le Burkina n’est pas une terre sur laquelle on peut trouver son bien-être ; et pourtant, il est aussi bon que la Côte-d’Ivoire (…) et même plus que la Côte-d’Ivoire », explique-t-il.
Une installation difficile
L’acceptation des Burkinabè rapatriés de Côte-d’Ivoire par les communautés locales n’a pas été une mince affaire. Mais grâce à l’implication des autorités municipales, leur insertion n’a pas causé beaucoup de problèmes. Pour l’ex-maire de la commune, « il y a eu des malentendus, mais le mal n’était pas si profond au point qu’on ne puisse pas trouver de solutions». En effet, une partie de la population s’était dressée au début contre leur insertion en refusant de leur donner des terres. L’ancien maire explique que le conseil municipal a joué sa partition en entamant des pourparlers avec les dissidents. « Ceux qui n’étaient pas favorables à leur insertion n’étaient pas nombreux et on a réussi à les dissuader », révèle-t-il. Les habitants du quartier « Bayir Noma » attestent les propos de M. Somé selon lesquels des gens s’opposaient à leur insertion à Batié. «Au début ils ont refusé catégoriquement de nous donner des terrains ; il était interdit à un étranger de s’installer là où nous sommes présentement», fait observer El Hadj Kaboré. Le nom du nouveau quartier a également provoqué le courroux des habitants de Bâtié par le fait qu’il n’a pas été donné dans une des langues du terroir. « Où étiez-vous pour savoir que ça fait bon vivre chez soi ? », se sont-ils empressés de demander à El Hadj Kaboré. Malgré la volonté affichée des populations allogènes de changer le nom du quartier, Moussa Kaboré a tenu mordicus à le maintenir tel quel. « C’est moi qui ai baptisé ce quartier en l’appelant Bayir Noma et je me suis battu pour que nos hôtes acceptent ce nom», fait comprendre celui-ci. Ces incidents mineurs, qui sont d’ailleurs inhérents à la nature humaine, n’ont pas entaché la bonne cohabitation entre les différentes communautés vivant à Batié. Pour prévenir les conflits intercommunautaires, les autorités communales avaient auparavant pris les taureaux par les cornes en sensibilisant la population sur la cohésion entre les ethnies. Des initiatives fort louables visant à unifier toutes les ethnies ont été développées en ce sens. « Ça nous permet d’éviter certains conflits », avoue le député-maire. Selon lui, les différends qui naissent entre des personnes issues de communautés différentes se résolvent toujours de façon conciliante. « C’est parce qu’on a eu l’idée au niveau local de faire comprendre aux gens que nous sommes tous Burkinabè qu’on ne tombe pas dans la dérive », dit-il.
Accueil triomphal des rapatriés à leur arrivée
La diaspora burkinabè de Côte-d’Ivoire a servi de boucs émissaires à la population de ce pays pendant les différentes crises qui l’ont secoué. Si certains sont restés de marbre sous les menaces de mort, d’autres au contraire se sont fait la malle pour regagner leur pays d’origine. Le souvenir imprécis, Piga Moussa Kaboré alias « Kadhafi » dit avoir profité de la mort de son grand frère Philippe Zinda Kaboré le 25 mai 1947 à Abidjan, pour se rendre en Côte d’Ivoire via le Ghana où il fit un détour d’un an. Mais il ne prendra pas non plus sa retraite dans les plantations en Côte-d’Ivoire du fait de la manifestation de la haine à l’encontre des étrangers où la communauté burkinabè était la plus visée. Le planteur burkinabè a tout fait au moment des remous à Tabou pour aider ses frères à quitter le pays. Il est rentré à Bâtié avec environ trois cent soixante personnes à sa suite. « On n’avait pas de problème avec les Ivoiriens et on se respectait jusqu’au moment où l’ancien président Henri Konan Bédié a attisé la haine vis-à-vis des étrangers particulièrement la communauté burkinabè », raconte-t-il. Le retour n’a pas été sans couacs car nombreux sont ceux qui ont perdu la vie au cours du trajet. « Beaucoup de nos proches sont morts parce qu’on nous pourchassait comme des délinquants qu’on voulait abattre », s’indigne El Hadj Moussa Kaboré. Comme lui, des déplacés affirment avoir perdu des proches qui ont été abattus dans leur fuite par des populations visiblement en colère contre les Burkinabè qu’ils accusent avoir accaparé leurs terres. D’autres avouent que leurs champs ont été retirés et leurs domiciles saccagés et pillés.
Dépouillés ainsi de leurs biens, ils ont été rapatriés avec l’assistance de l’Etat burkinabè. Piga et sa cohorte se sont installés non loin de là, c’est-à dire à Batié, une ville frontalière avec la Côte-d’Ivoire et le Ghana. Les uns et les autres gardent un souvenir amer de la Côte-d’Ivoire en se rappelant les conditions dans lesquelles ils ont regagné leur patrie. « Le haut commissaire de Batié avait été déjà informé de notre venue et il a mobilisé la population pour nous attendre ; les gens se sont massivement mobilisés et c’est comme si c’était le président du Faso qui arrivait à Batié », se souviennent-ils. Pour parer à l’urgence, les autorités locales les ont conduits vers un site à la périphérie de la ville où ils ont été installés. « Le besoin le plus urgent c’était de les abriter ; en cela nous avons trouvé, de concert avec les propriétaires terriens, un site pour les installer », explique l’ex-député maire de Batié, Ferdinand Ollo Somé. Surpris par ces évènements, Moussa Kaboré n’est pas content de quitter son pays d’accueil sur la pointe des pieds, étant donné qu’il a été l’un des précurseurs de la création des plantations de café-cacao en terre éburnéenne. « C’est nous qui avons commencé à créer les plantations de café-cacao en Côte-d’Ivoire », fulmine-t-il avec un léger soupir.
Bouffer le « wac » pour organiser la résistance
Piga Kaboré relate qu’il avait été élu chef par les communautés étrangères vivants en Côte d’Ivoire. Mais il était assisté de quatre petits chefs mossi. « Au moment de la crise de Tabou, je les ai convoqué chez moi afin qu’on se concerte pour trouver une solution à la crise», soutient-il. Pendant qu’il réfléchissait sur son sort ainsi que de celui de sa communauté, raconte-t-il, les autres chefs s’apprêtaient à organiser la résistance. Pour cela, dévoile M. Kaboré, ils ont demandé à venir bouffer du « wac » au Burkina Faso afin de repartir combattre les Ivoiriens. « J’ai refusé ça en les interdisant de faire la guerre aux ivoiriens car je me dis que chacun de nous à une famille au village qui est prête à l’accueillir s’il décidait de rentrer au pays », se défend-il.
Selon lui, bon nombre d’expatriés avaient réussi à s’intégrer dans la société ivoirienne et s’imposaient surtout par leurs richesses. Moussa Kaboré en était la parfaite illustration. Il avait acheté et mis en service beaucoup de véhicules qui faisaient prospérer ses affaires. Aujourd’hui, il ne dispose pas d’une grande fortune à Bâtie, mais il ne regrette pas son retour au bercail. « Quand j’étais en Côte d’Ivoire, j’ai eu des richesses mais je n’ai pas pu aller à la Mecque ; mais étant installé au Burkina, j’ai fait le pèlerinage dans les terres Saintes de l’Islam », se congratule-t-il. Ses richesses son basées essentiellement sur l’agriculture et les revenus générés par les plantations qu’il a laissé en Côte-d’Ivoire avec ses enfants. Il exploite 30 hectares d’anacarde et sa famille ne manque de rien, selon lui. La situation des Burkinabè rapatriés de Côte-d’Ivoire devrait interpeller plus les autorités à être très regardant sur le phénomène de l’immigration. C’était le même sort qui avait été réservé aux Burkinabè de Gabon vers la fin des années 70 où ils ont été expulsés du territoire gabonais manu militari, et cela devrait servir de leçon à tout candidat à l’aventure. Il est alors temps que les uns et les autres tirent des leçons du passé pour ne plus vivre dans les travers de l’histoire. Car quoiqu’on dise, on ne se sent bien que chez soi.
Ouamtinga Michel ILBOUDO
Omichel20@gmail.com
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